François Cusset, historien des idées a donné cette semaine une interview au journal Télérama. Son propos d'ensemble est particulièrement intéressant et invite à la lecture du magazine mais son analyse sur les évolutions à l'oeuvre est d'une telle clairvoyance qu'il nous a semblé utile de vous la livrer :
" ...Le fond de l'affaire c'est le tournant historique pris par le capitalisme dans le dernier tiers du XXème siècle, avec radicalisation de ses principes, de ses mécanismes et de sa logique : retrait de l'Etat social, privatisation, dérégulation, mondialisation financière.
Ce virage que certains appellent "néolibéral" a aussi eu pour moteur les mutations technologiques dont le capitalisme a fait son miel ou son cheval de Troie. Et il débouche sur une précarisation inédite de la condition salariale à l'échelle mondiale.
Travailler revient à accepter de n'être qu'en sursis, à se sentir interchangeable, facilement remplaçable, soumis à des impératifs de rendement et de vitesse, d'accélération des tâches absolument nouveaux, souvent inaccessibles. L'ensemble génère dépression, haine de soi, angoisse, auxquelles on réagit par des réflexes de survie individuelle, faute de liens collectifs que l'entreprise ou le salariat durable permettaient hier de tisser.
Ce basculement historique, car c'en est un, substitue à l'objectif du bien commun l'injonction de se sacrifier faite à chacun : se serrer la ceinture au nom d'une doctrine austéritaire présentée comme incontournable et qui autorise à désigner comme privilégiés les retraités ou les cheminots; laisser se dégrader ses conditions de vie par le jeu de la précarité de l'emploi et de la stagnation des salaires ; ou encore accepter que mon entreprise, ma ville ou mon quartier, perdants de la concurrence mondiale, soient laissés pour compte. Cette sommation au sacrifice est devenue le fond doctrinal du discours économique et managerial..."
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